Le principe des articles de "pourquoi j'écris": un extrait de texte en italiques, un commentaire personnel ensuite, des liens (en bleu quand ils n'ont pas été utilisés, en gris ensuite) - et la couverture du livre, quand il s'agit d'un livre (le cas le plus fréquent), ou une illustration.
A la base: l'éclectisme, revendiqué.
Du moment qu'il s'agit d'écriture - de préférence de manière métaphorique, voire subliminale...
Associés à cette chronique, deux blogs annexes: "blogorrhée", pour pouvoir parler en sortant du cadre - éventuellement; et "mes textes", au cas où. On y accède par la bande horizontale du haut (même page) ou par le sommaire, à droite (nouvelle page).
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dimanche 28 août 2011

Etudier son matériau

- Je me souviens de vous quand vous étiez jeune et que toutes les dames se battaient pour une partie de cheval avec vous. Cette Mrs Sumner et la jeune Miss Boott et la jeune Miss Lowe. Toutes les jeunes femmes, et d'autres qui l'étaient un peu moins. Nous vous aimions toutes, et je suppose que vous nous aimiez aussi, mais vous étiez trop occupé à étudier votre matériau pour vous permettre de privilégier l'une ou l'autre. Vous étiez charmant, bien sûr, mais vous étiez comme un jeune banquier occupé à ramasser nos économies. Ou comme un prêtre, à écouter le récit de nos péchés. Je me rappelle que ma tante nous mettait en garde. Il ne fallait surtout rien vous confier, disait-elle.
Elle se pencha vers lui avec un air conspirateur.
- Et à mon avis, vous avez continué jusqu'à ce jour. Je ne pense pas que vous ayez pris votre retraite (...).


C'est à Henry James, romancier reconnu, que s'adresse ainsi la baronne von Rabe, lors d'un diner à Venise, organisé en mai 1899 - à supposer que la scène restituée par Colm Toibin dans l'avant-dernier chapitre du livre Le maître ait bien eu lieu - ce qui n'est pas impossible: l'auteur fournit à la fin du livre la liste des ouvrages compilés, liste non négligeable. Pour autant ce livre n'en est pas moins un roman - le fait que son héros soit lui-même un écrivain ne confère pas au livre un caractère académique qui lui ôterait d'emblée le charme de la fiction... Il est certain, en revanche, qu'il donne envie de (re)lire Henry James - sans doute plus qu'il ne donne le regret de ne pas l'avoir connu... et pas seulement pour la raison évoquée par la baronne von Rabe car dans la scène d'où est tiré l'extrait, "le maître" s'en sort plutôt bien, restant imperturbable face à une accusation qui aurait sans doute pu perturber plus débutant que lui...
En effet: quel écrivant ne s'est jamais posé la question de savoir s'il ne tombait pas sous le coup de cette accusation? Qui ne s'est jamais interrogé sur la question de la frontière entre ces "récits" aux airs de confidences, ou l'observation de la vie des proches, et ce que l'on peut se permettre d'exposer dans l'écriture...? De quelle manière chaque écrivant s'arrange-t-il de cela...? A partir de quand considère-t-il que la transposition est suffisante, suffit-il de changer les noms, faut-il aussi changer les lieux, les époques, aménager les situations, faire d'une fille un garçon, ou tout ça à la fois - ou au contraire, rien de tout cela n'est-il nécessaire...? Quoi qu'il en soit, les procès pour atteinte à la vie privée, qui égaient de temps à autre la vie littéraire, témoignent du fait que certains jugent parfois la frontière franchie...
Pour qui s'intéresse aux mécanismes de l'écriture, le livre de Colm Toibin est passionnant et tout le livre est émaillé de passages qui pourraient donner lieu à des extraits plus intéressants que celui qui a été privilégié - mais si l'on s'intéresse à la question, c'est tout le livre qu'il faut lire et certainement pas quelques extraits. L'auteur établit des liens entre la vie de James, son mode de vie, sa manière de travailler, sa famille, ses fantômes, son enfance, ses attachements, ses liens, ceux du passé comme ceux qu'il est, plus ou moins, capable de nouer par la suite, avec sa production littéraire. Il ouvre le livre sur l'échec d'une pièce de théâtre et la manière dont "le maître" s'est ensuite remis en cause, s'éloignant des mondanités pour se consacrer à son écriture. Le plan est linéaire au sens où les intitulés des chapitres sont chronologiques (ils vont de janvier 1895 à octobre 1899), mais ce déroulé va de pair avec de nombreuses réminiscences intervenant à l'intérieur des chapitres, reliant le passé et le présent, les souvenirs et la production littéraire - les mystères de la vie et ceux de l'écriture...
Un très beau livre, à savourer tranquillement.

Note
Publié le jour même, justement, dans Envie d'écrire: Comment écrire sur sa famille... sans la perdre? La coïncidence est amusante et la lecture tout à fait complémentaire... 

Editions Robert Laffont 2005, 10/18, collection domaine étranger, 2008

1 commentaire:

  1. A-t-on le droit de tout raconter ? En tant qu’écrivant, je me sens très ambigu face à cette question. De prime abord, je me vois volontiers en chevalier blanc, "lavons notre linge sale en famille !" Je me sens plutôt maladroit si je m’essaie à rapporter un évènement tel qu’il s’est déroulé…
    Toutefois, il m’est arrivé de faire le portrait enragé d’une supérieure hiérarchique (mère sup ?) qui avait usé (abusé ?) de son pouvoir sur moi. En vue d’une éventuelle publication de nouvelles, j’ai écarté ce texte, puis un autre, pour une raison pas si éloigné, une scène familiale assez violente que l’on m’avait raconté et que j’ai racontée à ma façon. Mais la substantifique trame était bien là, très reconnaissable…
    A contrario, dans une autre nouvelle, croyant m'inspirer d'un fait réel, et croisant à postériori mon souvenir avec celui de mon frère aîné, je me suis aperçu que j'étais loin du compte, "l'anecdote" initiale était en fait imaginaire.
    En fin de compte, nos textes agissent souvent comme des révélateurs de nous-mêmes, sinon, à quoi bon…
    Bernard

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Ecrire, pourquoi pas? Et si vous commenciez par écrire ici...? Vous pouvez dire ce que vous pensez du livre si vous l'avez lu, ou bien de l'extrait cité... C'est à vous!

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