Il faut lire pour écrire, ne serait-ce que pour ne pas commettre d'anachronisme et découvrir l'eau tiède après tout le monde. Ceux que Mandelstam appelle les "non-lecteurs congénitaux" écrivent des vers dont ils abreuvent revues et éditeurs sans jamais s'être procuré le moindre livre de poésie contemporaine. La poésie leur semble une science infuse, un art venu des tripes, à la portée du premier enfant venu. "Ecrire leur donne déjà assez de mal, ironise Mandelstam: ils se fâchent toujours quand on leur conseille d'apprendre d'abord à lire".
Si on admet aujourd'hui qu'il faut beaucoup de travail pour faire un livre, avec des mines entendues au mot "inspiration" (le structuralisme est quand même passé par là), il vaut mieux ne jamais avouer qu'on écrit parce qu'on a lu.
Mais Perec a-t-il écrit parce que la guerre l'a laissé mutique de douleur, ou parce qu'il avait lu Queneau, Stendhal, Proust et Swift? Les livres lui ont proposé des mots, et la psychanalyse encore d'autres mots, jusqu'à lui rendre la parole, une parole écrite qu'on appelle une œuvre.
Celan écrit à sa femme, le 14 août 1952: "Je lis beaucoup pour pouvoir un jour écrire un nouveau livre pour vous".
C'était le temps de l'innocence: avant d'être accusé de plagiat. Jusqu'à la fin de sa vie Celan écrit sur les livres: rabats et marges des livres de sa bibliothèque sont couverts de son écriture. Anna Akhmatova, comme beaucoup d'écrivains de l'époque soviétique, pratiquait aussi le palimpseste littéral - par pénurie de papier, et aussi parce que lire stimule l'écriture, la déclenche, l'agace. Ecrit sur un livre est d'ailleurs le titre d'un ensemble de ses poèmes.
On écrit comme les arbres poussent. Une forêt, pas imense, de larges troncs - tragédie, épopée, sagas - et des branches - Dante, Shakespeare, Cervantès, Molière... - et au bout des branches des rameaux, et des feuilles, qui sont les écivains contemporains.
De la poésie de Celan, Primo Levi disait: "Je la porte en moi comme une greffe".
Confrontée par deux fois à cette accusation, Marie Darrieusecq explore la question du plagiat, qu'elle élargit à la "surveillance littéraire" et dont elle brosse une vaste fresque. Sa grille d'analyse a plusieurs dimensions: littéraire, certes, mais également historique et largement psychanalytique. On peut regretter que les digressions soient parfois longues et que certains développements tournent un peu trop au plaidoyer pro domo - quoi qu'en dise l'auteur, même si la ligne de démarcation est difficile à situer et par là le plagiat difficile à définir, il semble tout aussi difficile de prétendre que le plagiat n'existe pas et que, pour ce faire, il ne soit pas indispensable de passer par une confrontation des textes mis en cause terme à terme... Il n'empêche... le livre est très riche et offre au lecteur une véritable réflexion sur l'écriture et ses ressorts. De nombreux écrivains sont convoqués sur le sujet et l'ouvrage est une mine de citations sur l'écriture, ainsi
Dans mon inconscient, ce sont les autres que j'entends (Artaud)
Voir le monde avec les yeux d'un autre (Hélène Cixous)
Aventures sous les voûtes psychiques d'autrui (Mandelstam)
L'écriture c'est l'inconnu de soi (Duras)
sans parler des formules de l'auteur, tout aussi frappantes. Le livre commence par
Il y a une râge à vouloir être plagié.
et en effet, quel plus bel hommage...?
et se termine par
Merci à tous les livres que j'ai lus. Sans eux je n'aurais pas écrit. Ma vie n'y aurait pas suffi.
Hommage également. Et formidable résumé de la thèse du livre, à travers toute l'ambivalence de la dernière phrase, sur les relations lecture-écriture.
Marie Darrieussecq
Rapport de police
Editions POL, 2010
Celan écrit à sa femme, le 14 août 1952: "Je lis beaucoup pour pouvoir un jour écrire un nouveau livre pour vous".
C'était le temps de l'innocence: avant d'être accusé de plagiat. Jusqu'à la fin de sa vie Celan écrit sur les livres: rabats et marges des livres de sa bibliothèque sont couverts de son écriture. Anna Akhmatova, comme beaucoup d'écrivains de l'époque soviétique, pratiquait aussi le palimpseste littéral - par pénurie de papier, et aussi parce que lire stimule l'écriture, la déclenche, l'agace. Ecrit sur un livre est d'ailleurs le titre d'un ensemble de ses poèmes.
On écrit comme les arbres poussent. Une forêt, pas imense, de larges troncs - tragédie, épopée, sagas - et des branches - Dante, Shakespeare, Cervantès, Molière... - et au bout des branches des rameaux, et des feuilles, qui sont les écivains contemporains.
De la poésie de Celan, Primo Levi disait: "Je la porte en moi comme une greffe".
Confrontée par deux fois à cette accusation, Marie Darrieusecq explore la question du plagiat, qu'elle élargit à la "surveillance littéraire" et dont elle brosse une vaste fresque. Sa grille d'analyse a plusieurs dimensions: littéraire, certes, mais également historique et largement psychanalytique. On peut regretter que les digressions soient parfois longues et que certains développements tournent un peu trop au plaidoyer pro domo - quoi qu'en dise l'auteur, même si la ligne de démarcation est difficile à situer et par là le plagiat difficile à définir, il semble tout aussi difficile de prétendre que le plagiat n'existe pas et que, pour ce faire, il ne soit pas indispensable de passer par une confrontation des textes mis en cause terme à terme... Il n'empêche... le livre est très riche et offre au lecteur une véritable réflexion sur l'écriture et ses ressorts. De nombreux écrivains sont convoqués sur le sujet et l'ouvrage est une mine de citations sur l'écriture, ainsi
Dans mon inconscient, ce sont les autres que j'entends (Artaud)
Voir le monde avec les yeux d'un autre (Hélène Cixous)
Aventures sous les voûtes psychiques d'autrui (Mandelstam)
L'écriture c'est l'inconnu de soi (Duras)
sans parler des formules de l'auteur, tout aussi frappantes. Le livre commence par
Il y a une râge à vouloir être plagié.
et en effet, quel plus bel hommage...?
et se termine par
Merci à tous les livres que j'ai lus. Sans eux je n'aurais pas écrit. Ma vie n'y aurait pas suffi.
Hommage également. Et formidable résumé de la thèse du livre, à travers toute l'ambivalence de la dernière phrase, sur les relations lecture-écriture.
Marie Darrieussecq
Rapport de police
Editions POL, 2010
Oui, je lis autrement depuis que j'écris. A l'affût du témoignage, d'une piste menant vers les mots des écrivains. Je regarde aussi qui édite qui, on ne sait jamais ...
RépondreSupprimerJ'en profite pour dire un grand merci pour la citation du blog "Jutiere" (très touchée, mon vivomètre a saturé toute la journée). Merci encore, et merci pour la lecture éclairée et éclairante de vos articles