Le principe des articles de "pourquoi j'écris": un extrait de texte en italiques, un commentaire personnel ensuite, des liens (en bleu quand ils n'ont pas été utilisés, en gris ensuite) - et la couverture du livre, quand il s'agit d'un livre (le cas le plus fréquent), ou une illustration.
A la base: l'éclectisme, revendiqué.
Du moment qu'il s'agit d'écriture - de préférence de manière métaphorique, voire subliminale...
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vendredi 9 août 2019

Perfectionnisme et précision

- Si vous commenciez par me dire quelle surface vous recherchez? 
Jasper Gwyn s'était préparé et donna une réponse précise. 
- J'aurais besoin d'une seule pièce, grande comme un demi-terrain de tennis. 
John Septimus Hill l'écouta sans ciller. 
- Quel étage? demanda-t-il. 
Jasper indiqua qu'il l'avait imaginée donnant sur un jardin intérieur, mais il ajouta qu'un dernier égage pouvait convenir aussi, l'important étant que cela soit parfaitement silencieux et tranquille. Un vieux parquet, conclut-il, serait un plus.  
John Septimus Hill ne prenait pas de notes, mais il donnait l'impression d'empiler dans un coin de sa tête toutes les informations, comme on empile des draps repassés. 
Ils parlèrent de chauffage, de salle de bains, de concierge, de cuisine, de finitions, d'huisseries, et de parking. Sur chaque point, Jasper Gwyn montra qu'il avait les idées très claires. Il fut catégorique sur le fait que la pièce devait être vide, complètement vide même. Le seul terme "meublé" l'agaçait. Il tenta d'expliquer avec succès qu'il n'était pas contre quelques taches d'humidité, çà et là, et peut-être des tuyauteries apparentes, de préférence en mauvais état. Il insista pour qu'il y ait des stores et des volets aux fenêtres, afin de moduler à sa guise la luminosité de la pièce. Quelques résidus de papier peint sur les murs ne lui déplairaient pas. Les portes, si elles étaient vraiment indispensables, devraient être en bois, et si possibles un peu gondolées. Des hauts plafonds, il décréta. 
John Septimus Hill empila tout soigneusement, les yeux mi-clos, comme s'il venait de terminer un repas copieux; puis il demeura un moment silencieux, apparemment satisfait. Enfin il rouvrit grand les yeux et s'éclaircit la voix. 
- Puis-je me permettre une question qu'on pourrait résolument qualifier de privée? 
Jasper Gwyn ne dit ni oui ni non. John Septimus Hill le prit comme un encouragement. 
- Vous exercez un métier qui requiert un degré incroyablement élevé de perfectionnisme et de précision, pas vrai? 
Jasper Gwyn, sans bien comprendre pourquoi, pensa aux plongeurs de haut vol. Et il répondit que oui, par le passé, il avait fait un métier de ce genre. 
- Puis-je vous demander de quoi il s'agissait? C'est une simple curiosité, croyez-moi. 
Jasper Gwyn dit que pendant un temps il avait écrit des livres. 
John Septimus Hill soupesa la réponse, comme s'il voulait être sûr de pouvoir la comprendre sans mettre trop de désordre dans ses convictions. 

"Tout commence par une interruption". 


Cette citation de Paul Valéry est mise en exergue de cet étonnant petit livre.

Jasper Gwyn est un écrivain reconnu quand, soudainement, au détour d'une allée, il décide de ne plus écrire de livres. Le métier d'écrivain - et d'écrivain publié - comporte trop d'aspects insupportables. Il interrompt sa carrière et, du même coup, après une pause, se met en quête d'une piste de reconversion. Après tout, il faut bien faire uelque chose. Et l'écriture ne lui manque-t-elle pas? Si, bien sûr. D'où cette idée, certes surprenante, mais qu'il va tenter d'exploiter: il sera copiste. Et que croyez-vous qu'il copiera? 
Les gens. 
Copier les gens... Brosser le portrait, autrement dit. Mais pas avec un pinceau, évidemment. A sa manière, en utilisant les outils qui lui sont familiers: avec des mots. 
L'auteur nous décrit les tribulations de ce personnage qui à tout à inventer de ce nouveau métier qu'il souhaite exercer, des rencontres qu'il est amené à faire, de ses recherches, de ses réflexions. Et ce faisant il donne corps à cette idée que chacun de nous est une histoire.

Une réflexion sur l'écriture et l'écrivain, comme celle qui est menée dans L'infini livre, différemment à de nombreux égards: histoire, écriture, volume... Amusant d'avoir lu ces deux livres à faible intervalle... 
Dans Mr Gwyn, Alessandro Baricco nous conte une histoire tout à la fois cocasse et poétique, d'une séduisante bizarrerie, aux protagonistes aussi attachants qu'improbables, une histoire très singulière. 

Gallimard 2014, folio 

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