Dao-sheng voit bien qu'en ce bas monde les affaires humaines se ramènent à quelques thèmes essentiels: naissance, vieillesse, maladie, mort; au milieu de tout cela, une pincée d'aspiration par-ci, une once d'amour par-là. Cela dit, ces choses apparemment si simples, comme elles varient selon le lieu, le temps et les personnes! Prenons l'amour. Chez les uns, ce sont des coquineries à tout bout de champ; chez les autres, des serments pour l'éternité. Les uns changent de partenaires comme de chemises; les autres se confinent dans l'attente durant toute une vie. Il en va de même pour les autres affaires. Au premier abord, les clients répètent à peu près les mêmes questions: est-ce que le voyage se passera bien? Quel est le jour faste pour ouvrir la boutique? Quand est-ce que la femme sera enceinte? Quand est-ce que l'homme va revenir? Y aura-t-il une promotion? La fortune sera-t-elle au bout? Comment la maladie se terminera-t-elle? La longévité est-elle assurée? Et pourtant chacun réagit différemment. A côté des optimistes, toujours exaltés et confiants, nombreux sont les incertains ou les résignés qui, une fois la prédiction entendue, s'en vont divisés ou accablés.
Peut-on cependant se limiter à cette constatation de la variété de signes humains? Doit-on vraiment accorder la même valeur à tout? Ici, Dao-sheng a comme un sursaut, rendu plus vif par ses propres tourments et doutes. Il se rappelle l'enseignement du Grand Maître. Celui-ci n'avait-il pas répété que divination et médecine ne sont pas affaire de recettes, qu'elles ne sont rien sans la pensée qui les fonde? A l'heure où menace le désespoir, n'est-il pas grand temps de revenir à cette pensée? Il est dit que tout est lié, que les signes humains ne sont pas séparables de ceux de la terre et du ciel. Au sein de cet ensemble organique, ce qui relie n'est ni chaîne ni corde, mais le souffle qui est à la fois unité et garant de la transformation. (...) C'est dans la mesure où le devin, aussi bien que le médecin, capte le shen au cœur d'une entité vivante qu'il peut la restituer dans la voie de la vie.
Une fois encore, dire et redire que les livres ne vous tombent pas dans les mains par hasard... Celui-ci a surgi d'un carton, il devait prendre une direction qui s'est trouvée modifiée - quelle chance!
Ce merveilleux roman d'amour à l'écriture aussi forte que fluide, présenté comme un Tristan et Iseult chinois, est certes l'histoire d'une quête amoureuse mais il nous emmène bien au delà... Le tableau de la Chine de la fin de la dynastie Ming, époque de profondes mutations, les rencontres qu'on y fait, y sont certes pour quelque chose. Mais aussi éloignés que les personnages soient de nous, les réflexions de Dao-sheng, moine n'ayant pas prononcé ses vœux, devin et médecin traditionnel, ne peuvent pas ne pas toucher chacun au plus intime - à l'essentiel - et c'est là surtout ce qui importe.
Et puis, au fait, n'observe-t-on pas que le passage cité pourrait facilement, au prix de quelques transpositions minimes, s'appliquer au travail de celui qui écrit? Ne peut-on pas le dire également en écriture, que les recettes ne sont rien si l'on n'arrive pas à capter le shen, le souffle, "qui est le critère du vrai et du juste" et permettra de restituer la vie...?
Et puis, au fait, n'observe-t-on pas que le passage cité pourrait facilement, au prix de quelques transpositions minimes, s'appliquer au travail de celui qui écrit? Ne peut-on pas le dire également en écriture, que les recettes ne sont rien si l'on n'arrive pas à capter le shen, le souffle, "qui est le critère du vrai et du juste" et permettra de restituer la vie...?
Editions Albin Michel, 2002, Le Livre de Poche
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