Avec la Bisonne, Lucile parle de son métier... Enseignante... Elle dit qu'elle aime apprendre mais pas enseigner, surtout l'histoire. Elle exerce pourtant son métier avec application, quelque fois avec plaisir, elle a de l'humour, comme sa mère, et aime rire avec ses élèves mais c'est dur en lycée professionnel. Elle aimerait changer de métier... Heureusement, elle a le théâtre et l'écriture... De même que, enfant, le jeu et les vacances lui permettaient de tenir.
De temps en temps, Lucile donne un texte à la Bisonne. Celle-ci dit que ses poèmes sont très beaux... Lucile remercie, dit que c'est gentil. "Non, ce n'est pas de la gentillesse. Je le pense"... Une autre fois, pour d'autres textes, elle parle d'une écriture à l'os... Lucile est contente... Elle raconte qu'elle a commencé à écrire sur des petits papiers, des enveloppes qu'elle avait sur elle, comme ça, quand ça lui traversait la tête, dans la rue, dans le métro, après une impro au théâtre... Surtout quand ça n'allait pas... C'est devenu des sortes de poèmes... Puis elle a continué sur des cahiers... Tout un été, elle a écrit des textes sur les mauvais moments vécus... Elle achète aussi depuis quelques années des agendas grand format, comme ceux de sa mère. Sur la première page, avant le premier jour de l'année, figurent ses objectifs...
"Marcher sans béquilles"
"Sous le signe de la maturité"
"Aide-toi, le ciel t'aidera"
Plus loin, des petits bouts de narration... des rêves marquants... des rendez-vous, évidemment puisque ce sont des agendas.
Quand elle écrira davantage, elle se procurera de grands cahiers...
Lucile a mis longtemps à se décider à parler. Et puis un jour elle a commencé. Une fois par semaine. A la Bisonne, avec qui elle a entamé une psychanalyse.
Ecrire, elle le faisait déjà - pour tenir. Elle a continué, en prenant différentes voies. Au fur et à mesure que sa vie empruntait, elle aussi, des chemins différents... Parfois la parole et l'écriture se croisent, tandis qu'une vie s'ébroue et retrouve son unité, son fil. C'est ce dont le livre rend compte, de par sa construction.
Est-ce un roman, un recueil de nouvelles, un roman par nouvelles? Un peu tout cela. Ce sont les séances chez la Bisonne qui, tel l'extrait ci-dessus, scandent le livre et l'organisent, d'une manière tout à fait originale, donnant à l'ouvrage non seulement sa cohérence mais également une structure et une tonalité particulières. Les chapitres correspondant à des écrits de Lucile nous plongent dans les souvenirs de celle-ci. Certains d'entre eux pourraient constituer des nouvelles à part entière - d'autres ne se lisent qu'à la lumière de ce que nous savons de son histoire.
Histoire d'une vie de femme qui peine à se construire, histoire d'une enfant qui se sent mal aimée, d'un rapport mère-fille problématique... même si l'histoire est à resituer dans le contexte (éducatif, en particulier) d'une époque qui paraît à présent presque lointaine (Lucile est à Nanterre au moment des années 68 et vit le mouvement étudiant), le registre est celui de l'intime. L'ensemble est très émouvant. Aura-t-on jamais fini de décliner le thème des mille dégâts opérés par les familles toxiques...?
Odile Gapillout
Editions Kirographaires, 2012
Voilà un livre qui semble avoir été écrit pour moi ;-)
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