Le froid avait cessé de me faire trembler mais il était en moi profond... "le livre est la mer qui brise la hache gelée en nous": j'avais souvent été hanté par la notation célèbre du Journal de Kafka, pris par sa mystérieuse poésie, sans bien comprendre ce qu'elle pouvait signifier pour moi. Ma vie, ces années-là, fut l'envers de cette phrase: l'impossibilité d'écrire laissait entière cette mer qui me gelait cœur et âme.
Je n'aimais plus.
Vivre sans aimer est un malheur, écrire sans aimer un péché commis par beaucoup. (...) Ne va pas croire que je ne le commis plus sous prétexte que je ne publiais plus... J'écrivais bien, tu sais, des mots qui n'étaient pas à moi, des mots pour les autres et que je n'aimais pas, des mots pour ne rien dire ou dire ce qui n'était pas moi, je crachais des mots-glaçons avec autant d'efficacité qu'un frigidaire américain et ma petite hache d'amour je l'avais laissée derrière moi, je l'avais perdue dans cette nuit froide et humide où j'avais enfin rendu les armes.
(Je ne le savais pas mais les mots ne disparaissaient pas - comme je le crus plus tard dans des soirs de colère, de révolte, d'humiliation ou simplement d'abattement - ils se réfugiaient dans ce château fort de mon âme, attendant une délivrance impossible.)
Je n'aimais plus.
Vivre sans aimer est un malheur, écrire sans aimer un péché commis par beaucoup. (...) Ne va pas croire que je ne le commis plus sous prétexte que je ne publiais plus... J'écrivais bien, tu sais, des mots qui n'étaient pas à moi, des mots pour les autres et que je n'aimais pas, des mots pour ne rien dire ou dire ce qui n'était pas moi, je crachais des mots-glaçons avec autant d'efficacité qu'un frigidaire américain et ma petite hache d'amour je l'avais laissée derrière moi, je l'avais perdue dans cette nuit froide et humide où j'avais enfin rendu les armes.
(Je ne le savais pas mais les mots ne disparaissaient pas - comme je le crus plus tard dans des soirs de colère, de révolte, d'humiliation ou simplement d'abattement - ils se réfugiaient dans ce château fort de mon âme, attendant une délivrance impossible.)
(...)
Je n'écrirais plus.
Je ne connaîtrais plus cette hâte, cette allégresse d'un heureux malheur qui se prépare et s'accomplit dans le secret des nuits, toujours les nuits. Je n'entendrais plus ce chant monter, cette rumeur de la terre et du ventre qui fait un piétinement du diable en nous, comme si des armées nous dévastaient et, en même temps, nous libéraient. Je ne serais plus naïf: je serais un homme moderne, triste, pressé, respectable, protégé, qui n'aurait à lui qu'une boite à secrets à laquelle il se garderait de laisser personne s'intéresser de près. (...)
Je n'écrirais plus: ce serait la paix des morts, la paix du silence quand on passe sur le champ de bataille pour ramasser les cadavres de soi-même indéfiniment allongés sur la plaine. Vent et cendres, gémissements étouffés. Est-ce que je n'avais pas le droit, moi assi, d'être heureux comme toi, d'avoir une maison, une femme et deux enfants et une de ces vies réglées qui nous amènent au cimetière, doucement, peinards, ayant assuré la loi de reproduction de l'espèce et pour cette peine mérité un corbillard trois étoiles avec toutes les options, clim' comprise? Je n'écrirais plus - que des bribes sur un carnet, debout à un feu rouge, feuille arrachée froissée au fond de la poche, allez roulez, mauvais souvenirs, allez mourez vieilles douleurs et les jours où je voudrais rester couché appelez ça les petits rhumatismes de l'âme, laissez faire la blessure inguérissable de la vie, on n'en meurt que le temps de mourir.
Je serais si bien tapi dans la forêt de moi-même que je ne m'y apercevrais jamais (...).
L'impossibilité d'écrire, l'impossibilité d'aimer - ou tout au moins d'aimer simplement, de le dire et de l'entendre, l'impossibilité à vivre... La recherche de l'autre, de soi-même - une vie entière... Des dégâts collatéraux, bien sûr - tout le monde ne sort pas indemme de relations amoureuses compliquées.
L'éblouissement de l'instant, pourtant sans arrêt renouvelé, alterne avec les doutes et les peurs, les atermoiements et les lâchetés, sans jamais l'emporter. L'auteur nous offre une plongée dans les sentiments du narrateur, une introspection sans décorticage, un exposé au rythme de leur surgissement, des blessures, des débuts de cicatrisation...
Quant à la question de l'écriture, elle reste posée... se nourrit-elle des difficultés d'être ou est-il plus facile d'écrire dans le bonheur?
A chacun sa réponse, peut-être...
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