Emily mettait toujours sa longue robe noire pareille à un habit de nonne, mais par-dessus, noué serré à la taille, un tablier blanc. Si elle semblait ne pas entendre les prières de l'épouse - «Émily, ma chère? Attendez...» -, celle-ci découvrit néanmoins qu'en son absence la cuisine était nettoyée, les sols balayés et cirés, des tiges fleuries de forsythia disposées dans des vases! - preuve qu'Émily ne vivait pas recluse dans sa chambre, mais était capable de sortir discrètement de la maison pour aller couper des branches de forsythia dans le jardin de derrière. Car Émily ne restait jamais inactive: elle s'occupait du ménage, faisait du pain (sa spécialité, le pain bis à la mélasse) et des tartes (rhubarbe, potiron, mincemeat), aidait l'épouse (qui avait suivi des cours de cuisine dans une école sérieuse de New York mais avait oublié presque tout ce qu'elle avait appris) à préparer les repas. L'épouse aimait entendre sa compagne-poète fredonner avec gaieté et vivacité, surtout quand, assise près d'une fenêtre ensoleillée, elle brodait, tricotait ou faisait une tapisserie; souvent, Émily s'interrompait pour griffonner quelques mots sur un bout de papier, aussitôt fourré dans une poche de tablier. Si l'épouse se trouvait à proximité et qu'elle vît, elle feignait bien sûr de n'avoir pas vu. Se disant Elle s'est mise à écrire des poèmes! Chez nous!
L'épouse attendait avec impatience que le poète partage ses poèmes avec elle. Car elles étaient deux âmes sœurs, après tout.
Peut-on vraiment écrire en griffonnant quelques mots entre deux activités et devenir Emily Dickinson? Ou, pour poser la question autrement, est-ce ce bien comme cela que procédait la grande poète?
Car il n'est pas certain que ce soit vraiment d'elle que nous parle Joyce Carol Oates... mais de cela, il ne sera pas question ici. Les nouvelles de ce recueil parlent en effet de grands écrivains - sans forcément en parler tout à fait... un peu à la manière de l'auteur, qui aime parfois se situer aux frontières de la réalité. Qui plus est, à la manière de l'auteur et dans le style des auteurs dont elle parle... Du bel ouvrage, documenté et mené de main de maître, allant au delà du simple exercice, cherchant à nous faire rencontrer, véritablement, chacun des écrivains dont il est question, à un moment crucial de vulnérabilité et désespoir.
Un produit pour gourmets, à déguster.
EDickinsonRépliLuxe
Editions Philippe Rey, 2011
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