Le principe des articles de "pourquoi j'écris": un extrait de texte en italiques, un commentaire personnel ensuite, des liens (en bleu quand ils n'ont pas été utilisés, en gris ensuite) - et la couverture du livre, quand il s'agit d'un livre (le cas le plus fréquent), ou une illustration.
A la base: l'éclectisme, revendiqué.
Du moment qu'il s'agit d'écriture - de préférence de manière métaphorique, voire subliminale...
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samedi 9 avril 2011

Mentir-vrai

Toujours il y avait cette souffrance d'être au monde, dont la famille était la chambre des supplices. Chez Aragon il fallait prendre les patins de feutre, nous glissions l'un derirère l'autre comme des manchots sur la banquise et je revois son dos un peu voûté qui me parlait, en réponse à ma lancinante curiosité, tandis qu'en colonne, donc, nous rejoignions le salon où Maria avait dressé le couvert: "Mon cher, j'étais un poids pour ma famille puisque j'étais censé ne pas en faire partie bien que j'y fusse élevé comme s'il se fût agi d'une famille d'accueil, n'étant pas un enfant légal et ma mère y étant otage..." Je comprenais, oh oui, je comprenais mais non, je ne comprenais rien, il fallait qu'il reprenne, plus lentement. Je faisais répéter. Je fais souvent répéter quand arrive le moment où il ne faut rien perdre. D'autant qu'on me parlait de moi, en somme. "... ma mère y étant otage car elle passait officiellement pour ma sœur." Ah, non, ça n'était pas moi.
Mon histoire, c'est qu'on m'avait caché mon histoire. J'en recueillais des bribes dans les corbeilles collégiales. J'en reconnaissais des morceaux. Je me tenais pour un piètre à qui on aurait volé sa vie. Soustrait son destin, sa nature, son monde. On m'avait laissé la haine, la rancune, l'ignorance, le dépit, c'était déjà quelque chose. Et avec ça, la liberté d'en user en sauvage. Mais je n'en faisais rien. Trop d'orgueil. Je me suffisais, et comment. Il n'est pas une femme dans ma parentèle qui soit née de père connu, d'ailleurs la notion même de père disparaît des états civils et est remplacée dans les pupitres communaux par une ligne pointillée: les femmes naissent des femmes, par l'opération du Saint-Esprit. On ne peut rien arracher au rien. Du moins je le pensais, sauf à faire parler les morts. Justement. Les morts parlent, quand les tombes sont mal fermées.
Je me souviens de cet autre Noël qui a vu mourir Aragon. A cause du jour, à cause d'avoir à mourir ce jour-là ("Encore un sapin pour Noël", ai-je noté dans l'agenda qui ne quitte jamais ma poche), à cause aussi de ma tolérance aux idées candides, j'ai voulu croire que les miens me faisaient signe à travers l'évènement, parce que, chez le poète, nous parlions tout le temps des pères et de leurs incessants mensonges. C'est-à-dire que je le ramenais toujours là-dessus pendant les déjeuners que nous préparait Maria, le dimanche, rue de Varenne. Il me disait que sa fameuse formule du "mentir-vrai" était mal comprise, parce qu'on voulait y entendre que le mensonge se substituait à la vérité comme à son contraire, alors que le mensonge inventait la vérité quand celle-ci avait été empêchée, quand aucune vérité ne ressortait des faits. Tous les illégitimes savent qu'ils devront se fabriquer, non seulement sur le mensonge de leurs pères, mais sur ceux qu'ils produiront eux-mêmes. Parce qu'ils sont vierges de tout héritage, ils sont, à la lettre, les innommables. On ne sait pas qui l'on est quand on ne sait pas d'où l'on vient. Il faut bien s'inventer. Se trouver, coûte que coûte. Il faut bien se mentir. 


Encore le secret des origines et la manière dont l'imaginaire s'en nourrit, entre le manque qu'il crée et la foison d'hypothèses qui en découle. Difficile de commenter ce texte autobiographique, mieux vaut laisser parler l'auteur... Juste un mot: ce texte est dense et très beau, tant au plan littéraire que par le témoignage et les personnages - celui de la mère est délicieux, même si avoir eu cette mère-là n'a sans doute pas toujours été facile. Une dernière phrase, inspirée par cette mère-là, justement, une mère qui aimait la poésie:
Si on n'est pas chez soi dans sa tête, où pourrait-on l'être?
Dans un livre, peut-être...? 


1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Je découvre votre site et vous remercie de votre lien. Je ne manquerai pas de revenir lire d'autres articles dont les thématiques m'interessent, car vous avez déjà une longue liste de billets. Encore merci.

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Ecrire, pourquoi pas? Et si vous commenciez par écrire ici...? Vous pouvez dire ce que vous pensez du livre si vous l'avez lu, ou bien de l'extrait cité... C'est à vous!

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