Moi, Malaka, fils élevé dans le désert par une mère qui parlait aux pierres, je vais raconter Salina, la femme aux trois exils. Je vais dire ma mère qui gît là, au fond de la barque, et le monde qui apparaîtra sera fait de poussière et de cris. A l'époque où le monde a accueilli sa vie, il y avait des soleils qui faisaient saigner la peau et un désir de vengeance sauvage. A l'époque où le monde a accueilli sa vie, il y avait une enfant venue de nulle part. Elle est née loin, Salina, si loin que personne ne connaît le lieu exact ni de qui elle fut l'enfant, pas même elle. Moi, Malaka, qui dois faire le récit de sa vie pour que le cimetière décide de s'ouvrir ou pas, je choisis de commencer par ce jour de marche, à l'autre bout de sa vie, car c'est là que tout débute. Un jour de chaleur épaisse où un village entier a tourné sa tête vers les montagnes. Les mots que je vais prononcer, je les tiens de loin. Je n'ai pas connu ces jours rêches de combat. Ma mère me les a racontés mais elle ne s'en souvenait pas non plus. Elle les tenait d'une autre voix, celle de Mamambala. C'est elle qui lui a raconté ce que je vais dire. Moi, Malaka, fils d'une longue chaine de voix, je reprends les récits d'avant ma vie et de bouche en bouche, de veillée en veillée, je vous fais parvenir ce que fut cette journée. Ne vous fiez pas à ma solitude, nous sommes nombreux dans cette barque: tout un monde se présente à vous par ma voix.
Pierres et vent du désert, pleurs de nouveau-né et cris des guerriers, vengeances et exils, pardons refusés, pardon offert... Salina et ses malheurs, celui des origines et ceux de sa vie toute entière, les violences qu'elle subit et celles qu'elle déclenche, les malheurs qu'elle porte et qu'elle apporte, ceux du clan, ceux de l'exil et de la perte. Salina adoptée par Mamambala, acceptée par le clan, puis à nouveau exclue, comme une répétition de la blessure primitive. Salina abandonnique et abandonnée, qui n'accepte pas que l'amour lui soit refusé et ne vivra plus que de sa vengeance, nourrissant sa colère et s'y perdant.
Salina dont Malaka raconte la vie comme on conterait une légende, pour qu'enfin sa mère puisse connaître le repos.
Malaka. Le conteur par la voix de qui "tout un monde se présente" à nous. Le fils aimant d'une femme qui "parlait aux pierres", accompagne sa mère défunte pour son dernier voyage en la racontant aux hommes d'un pays qu'il ne connaît pas. Malaka qui a tant écouté Salina parle à son tour. Mais de qui Malaka est-il le nom, qui est vraiment Malaka? Au long du récit, la question se fait jour - et la réponse à la fin.
De Samilia (La mort du roi Tsongor) à Salina, Laurent Gaudé brosse des tragédies antiques à sa manière. Dans ces histoires, deux femmes au destin fracassé se dressent face à tous, imposant leur droit à la liberté; des enfants aux origines incertaines et ayant manqué d'amour présentent la facture en semant la violence: un traitement contemporain des grands mythes et une écriture assez poétique, des livres difficiles à lâcher pour qui s'y attelle. Ceux d'un auteur qui crée des mondes à notre intention...
Editions Actes Sud, 2018
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