Le principe des articles de "pourquoi j'écris": un extrait de texte en italiques, un commentaire personnel ensuite, des liens (en bleu quand ils n'ont pas été utilisés, en gris ensuite) - et la couverture du livre, quand il s'agit d'un livre (le cas le plus fréquent), ou une illustration.
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jeudi 8 août 2013

Gloser sur les hiéroglyphes du temps

J'ai cependant décidé - encore que très tard, peut-être trop tard, car beaucoup de témoins ne sont plus en vie - d'étudier à fond cette affaire. Cela me semble nécessaire déjà pour une première raison, c'est qu'à travers l'histoire de la famille Hammerstein on retrouve et l'on peut montrer, ramassés sur un très petit espace, toutes les contradictions et tous les thèmes décisifs de la catastrophe allemande (...). 
Un tel travail pose naturellement toute une série de problèmes littéraires mais aussi touchant à la théorie de la connaissance. 
John Lothrop Motley, historien américain du XIX° siècle, avait en la matière des idées très tranchées: "Une histoire de l'humanité n'existe pas", écrit-il. "Telle est la profonde et triste vérité. Ses annales n'ont jamais été écrites et ne le seront jamais; et même si elles existaient, nous serions incapables de les lire. Ce que nous avons, c'est telle ou telle feuille du grand livre du destin, apportée par le souffle des tempêtes qui parcourent la terre. Nous déchiffrons cela comme nous pouvons, de nos yeux myopes; mais tout ce qui en ressort n'est qu'un murmure confus. Nous avons affaire à des hiéroglyphes dont nous n'avons pas la clef." 
Je n'irai pas aussi loin que Motley, dont le scepticisme souffre d'un excès de romantisme. Mais dans un cas comme celui dont il s'agit ici, scrupules et réserves s'imposent absolument. Comme tout criminaliste l'apprend à ses dépens, les déclarations des témoins oculaires ne sont pas toujours à prendre pour argent comptant. Même les rapports faits de bonne volonté présentent plus d'une fois des lacunes ou des contradictions. Le désir de se faire valoir ou d'enjoliver les choses peut créer autant de confusion qu'une mémoire défaillante ou d'insolents mensonges. Les sources écrites ne sont guère plus fiables. Le mot "document" suggère une crédibilité qui est souvent imméritée. Les Mémoires rédigés longtemps après les faits pâtissent des éraflures de l'oubli. La pure et simple falsification est encore le moindre problème, on peut la démasquer. (...) 
En dépit de ces difficultés, j'ai essayé de faire le départ entre les faits et les libres inventions. Beaucoup de choses n'ont pu être tirées tout à fait au clair. Il existe plus d'une fois plusieurs versions d'un seul et même événement. Une critique approfondie des sources ne peut qu'être laissée aux experts. 
Pour autant ce livre n'est pas un roman. En risquant une comparaison, je dirai qu'il procède plus à la manière de la photographie qu'à celle de la peinture. Ce que j'ai pu établir grâce à des sources écrites ou orales, j'ai voulu le distinguer de mes jugements subjectifs, qui apparaissent ici sous forme de gloses. Pour compléter je me suis servi de la vénérable forme littéraire qu'est le "dialogue des morts". De telles conversations posthumes permettent de faire s'entretenir les gens d'aujourd'hui avec ceux qui les ont précédés; cette confrontation s'expose notoirement à bien des difficultés de compréhension, car les rescapés croient souvent en savoir plus long que ceux qui vivaient dans l'urgence permanente et y risquaient leur vie. 

Dans un post-scriptum intitulé "Pourquoi ce livre n'est pas un roman", Hans Magnus Enzensberger nous explique pourquoi il a décidé de s'attaquer à une biographie du général Kurt von Hammerstein-Equord et comment il a construit son ouvrage. Ce chapitre est d'autant plus intéressant que le propos du livre est aussi particulier que sa structure. En effet l'auteur est écrivain et non historien - or il s'attaque là à un gros travail d'archives, effectué avec beaucoup de minutie semble-t-il. Les résultats de son enquête nous sont présentés de différentes manières. Ils nous sont exposés très largement par l'auteur à travers le récit des événements et des faits que l'on peut reconstituer. Mais ces récits sont ponctués de gloses, qui permettent à l'auteur d'introduire, comme il le dit, ses jugements subjectifs - il s'agit en fait de digressions, composées de réflexions sur l'un ou l'autre des aspects du sujet. Viennent également ponctuer l'ouvrage des Conversations posthumes avec chacun des protagonistes de l'histoire, lors desquelles l'auteur cherche à compléter ses informations ou à vérifier tel ou tel point précis tout en bavardant agréablement avec les uns et les autres. Nul doute que l'écrivain est là et bien là - et non un historien.
L'écrivain qui cherche à combler les trous laissés entre deux chapitres de l'histoire, ceux qu'a laissés la feuille envolée au vent, l'écrivain qui cherche, à sa manière, à décrypter les hiéroglyphes. 
Ce livre est une somme et il passionnera qui s'intéresse à la période qui a vu la montée de Hitler en Allemagne. Il intéressera aussi pour la très forte personnalité des membres de la famille Hammerstein. La peur n’est pas une vision du monde, cette citation notée en exergue du livre, est une phrase prononcée par le général - l'un des officiers allemands qui exprimèrent clairement leur aversion aux idées d'Hitler dès le début. En dehors de ses valeurs morales et de son ouverture d'esprit, cet homme se distingue par ses qualités intellectuelles et son charisme. Toutes valeurs qu'il semble avoir transmis à ses filles qui, dans cette période difficile, n'ont pas hésité à prendre de nombreux risques pour défendre leurs idéaux. Mais l'auteur a raison, ce livre n'est pas un roman et il ne se lit pas comme un roman. 

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