Je me réveillerai un jour en froid avec ceux que j'aime et mal à l'aise avec moi-même, mais délivrée, allégée, comme saignée de quelque chose qui m'alourdissait le sang. Toutes les sucreries du loisir n'auront rien pu contre ça, ce cadeau sans prix, cette bonne conscience toujours offerte, ce désir toujours mouvant et la liberté qui en découle: le plaisir d'écrire. Je crois que j'aurais envié jusqu'à la haine la personne qui aurait eu "ça", "ça" à ma place. C'est pourquoi je m'en suis excusée si longtemps, sans jamais oublier l'injustice de ma chance, toute ma modestie brandie à bout de bras. Toujours est-il qu'il y a un moment où, quittant lentement les rives de la vraie vie, je glisserai vers la mer, pour moi sans rivages, de la littérature.
Où l'écriture apparaît comme une nécessité vitale et la littérature le paradis blanc de l'écrivain... tel que l'auteur le voyait, en 1998, soit six ans avant son décès.
Dans Derrière l'épaule, une autobiographie construite d'une manière particulière, autour des dates de publication de ses romans, Françoise Sagan se livre un peu - fort peu, à vrai dire, en termes strictement autobiographiques. Après avoir relu chacun d'eux, elle nous parle de ses romans, de son état d'esprit au moment où elle les concevait, de la manière dont ils s'enchainent, les uns derrière les autres, de la façon dont ils sont reçus, par le public et la critique. Elle part évidemment de Bonjour Tristesse puis, un chapitre après l'autre, continue sur les romans suivants (la liste n'est pas exhaustive et il n'est pas question ici, entre autres, des nouvelles publiées par l'auteur). Ce faisant, elle nous fait part de son ressenti vis-à-vis de ses personnages, des histoires qu'elle construit et se confie en tant qu'écrivain. Ainsi le passage suivant, au sujet de Un peu de soleil dans l'eau froide...
... je ne fais pas de plans, je n'en ai jamais fait. Les quelques fois où j'essayai, ils tombèrent très vite à l'eau, ce qui est normal. J'embarque mes héros au début de mes livres, je les mets en rapport et les laisse un long moment se débrouiller sans moi. Je veux dire que les propos ou les gestes qu'ils s'inspirent les uns les autres précisent leur personnalité, au départ confuse, et qu'il suffit d'attendre pour que leurs caractères s'imposent. Même si au départ ils sont pratiquement libres, j'en aurais vu beaucoup s'écarter de leur rôle original.
Quelle chance, on publie à nouveau Sagan, dont nombre de livres étaient devenus introuvables, y compris chez les bouquinistes. A lire ou à relire: dans les deux cas, de bons moments en perspective...
Editions Plon, 1998
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