Au bout d'une bonne heure de marche, j'aperçus un drugstore ouvert. J'entrai et pris un café. Il était réchauffé, noir et amer, avec un goût médicinal, exactement ce qu'il me fallait. Je me sentais déjà soulagée, et maintenant je commençai à me sentir heureuse. C'était un tel bonheur, d'être seule. De voir la chaude lumière de fin d'après-midi dehors sur le trottoir, les branches d'un arbre dont les feuilles venaient de sortir, répandant leur ombre parcimonieuse. D'entendre du fond du magasin les bruits de la partie de base-ball que l'homme qui m'avait servie écoutait à la radio. Je ne pensais pas à la nouvelle que j'allais imaginer sur Alfrida - pas à cela en particulier - mais au travail que je voulais faire, qui reviendrait plus à saisir une atmosphère dans l'air qu'à construire des narrations. Les cris de la foule me parvenaient comme des battements de coeur, remplis de chagrins. De ravissantes vagues au son cérémonieux, pourvues d'un accord et d'une lamentation lointains et presque inhumains.
C'était ce que je voulais, c'était à cela que je pensais devoir consacrer mon attention, c'était ainsi que je voulais ma vie.
Une nouvelle dans laquelle on voit naître une vocation d'écrivain, "Les meubles de famille", d'Alice Munro, dans Un peu, beaucoup... pas du tout, recueil de neuf nouvelles, neuf histoires de femmes, neuf portraits par petites touches. Comme la narratrice de sa nouvelle se promet de le faire, Alice Munro excelle à saisir une atmosphère, mais cele ne l'empêche pas de raconter des histoires, des vraies histoires, qui font de ce livre un délice.
"Les meubles de famille"
Editions Payot & Rivages, bibliothèque étrangère, 2006
Illustration de couverture: Romain Julien
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