Dans la lumière dure du soleil sur la rive sud du lac Ontario. Tous les objets sont nets et distincts comme dessinés par un crayon d'enfant. Les couleurs sont vives, tranchées, sans ambiguïté. Il y a toujours du vent. Pas d'ombres. Peut-être le vent les emporte-t-il?
Cette histoire est écrite avec un crayon d'enfant. Noir mat, ou violet, un éclat un peu huileux. Des Crayola pareils à ceux avec lesquels nous jouions quand nous étions petits.
Qu'as-tu vu ce jour-là?
(...)
Pour son deuxième anniversaire, j'ai offert à ma nièce Holly une grande boite de Crayola. Comme les crayons de couleur que j'adorais quand j'étais petite fille. Et nous dessinions, man nièce et moi, en nous racontant des histoires idiotes.
Holly riait et me touchait la joue. "Tatie Nedra, je t'aime!"
L'histoire de ce que j'ai vu mais n'avais pas vu. Et ce que je n'avais pas vu, je le verrais et me le raconterais toute ma vie.
Est-ce pour cesser de se raconter l'histoire qu'il faut l'écrire? Dans cette nouvelle, intitulée "Bonheur", aussi dérangeante que celles qui la suivent et la précèdent dans le recueil Vous ne me connaissez pas, Joyce Carol Oates nous raconte une histoire dure, d'amour et de haine, de brutalité visqueuse, une histoire étouffante, d'adolescents ou jeunes adultes mal sortis d'une enfance difficile, peu familiers des mots et qui doivent payer leur bonheur au prix fort - même si celui-ci s'avère finalement bien éphémère...
Toutes les nouvelles de ce recueil posent le problème de l'identité, de notre rapport au monde et aux autres, de ce que nous savons et ne savons pas, de ce que nous croyons savoir. Ce sont des histoires de mise en danger, véritable ou fantasmé, des histoires dans lesquelles la personnalité des victimes se dilue dans celle des agresseurs, des histoires complexes et pourtant des histoires de gens simples, souvent racontées d'une manière simple... avec une efficacité redoutable. Impossible de lire ce recueil d'une traite: à la fin de chacune de ces nouvelles, le trouble est tangible et le lecteur doit reprendre sa respiration. "Vous ne me connaissez pas, dit un homme à un autre, dans la nouvelle éponyme du recueil, je ne suis pas votre fils". Cette phrase, reprise en titre, pose la vraie question: qui connait qui? Est-ce pour y répondre que certains choisissent d'écrire?
"Bonheur"
Vous ne me connaissez pas
Illustration de couverture: photo de Basso Cannarsa / Opale
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