C'est en Autriche qu'avait été publiée la première édition étrangère de mes romans. A l'époque, Heinz, qui était professeur à l'école des langues orientales de Vienne, avait repéré un de mes livres qui n'était pourtant pas un best-seller, et l'avait tranduit en allemand. Et depuis presque dix ans, il avait la gentillesse de continuer à me traduire, en suivant à peu près mon rythme d'écriture, même si les ventes restaient modestes.
(...)
Parfois, les paquets qui arrivaient régulièrement d'Autriche par la poste aérienne alors que je n'y pensais plus étaient une consolation pour moi. C'était bien mon roman, même s'il renaissait dans une langue que j'étais incapable de comprendre, moi qui en étais l'auteur. En feuilletant les pages où s'alignaient les lettres de l'alphabet, je pouvais sentir qu'à travers ce petit espace qui tenait entre mes mains, un endroit m'était réservé, qui existait quelque part à l'autre bout du monde.
Dans cette nouvelle écrite à la première personne, le narrateur est un romancier japonais, conduit à venir en Europe et à rencontrer son traducteur. Dans la plupart des nouvelles de Yoko Ogawa, c'est une narratrice qui s'exprime, une jeune femme, dont on ne sait s'il s'agit de l'auteur. Les histoires sont souvent à la limite de l'onirisme, voire du fantastique, les personnages se perdent dans leurs souvenirs, puis reviennent à leur vie - ordinaire, le plus souvent, bien qu'aucun d'eux ne soit ordinaire à proprement parler. Chacun d'eux recherche ou possède "un endroit réservé", où il peut se réfugier et trouver le repos, le sommeil, souvent si désiré et si fuyant - chacun de nous peut-il trouver cet endroit, son endroit...? L'écriture, peut-être...?
"Les jumeaux de l'avenue des Tilleuls"
Editions Actes Sud, collection Babel, 2007, 2009 pour la trad. fse
Illustration de couverture: Kate Breakey
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