Les rayons des bibliothèques aiguisaient notre appétit d'écrire car, déjà préoccupés par l'inévitable échéance, nous avions découvert ce moyen d'accéder à l'immortalité. Sévères critiques, nous comparions nos textes. Sans doute intrigué par le nom de la station de métro qui enjambait l'Institut médico-légal, j'avais inventé une histoire qui se déroulait quai de la Rapée. Dans le sinistre bâtiment de brique surplombant une écluse, je faisais vivre un peuple de gardiens, récit très inspiré par le Métropolis de Fritz Lang, que Mando et moi avions vu la semaine dernière à la Cinémathèque. Je l'avais intitulé Despera et j'en étais assez fier, du haut de mes seize ans. Mando l'avait apprécié, c'était l'essentiel.
Mon récit était consigné dans un cahier Clairefontaine à spirale, que je remplissais avec fièvre, en écoutant la Fantastique. J'avais repéré que mes passages préférés, ceux où l'orchestre se déchaînait, creusaient des sillons plus profonds dans le vinyle du 33 tours et je plaçais toujours le bras de mon tourne-disques au début de ces plages sombres.
Mando était mon seul lecteur. J'attendais avec impatience la fin de la semaine pour lui apporter ma dernière livraison. Il gardait secret son journal, dans un tiroir de son bureau, mais me réservait en revanche la primeur de ses autres écrits.
Deux garçons, amis d'enfance, qui n'en font qu'un - croient-ils - mais que la vie sépare un jour. Une vie, faite d'amitiés et de pertes - la vie. L'écriture est fine, elle se nourrit de détails, de ceux qui font qu'une vie est unique. L'histoire se déroule sous nos yeux, racontée par Loup, l'ami que Mando s'est choisi. Très beau livre.
Le livre de poche, 2010
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