En chemin, je me suis cueilli ma ration d'orties. J'étais harassée, manque de matière grasse. Toujours ce voile qui plane devant mes yeux, et le sentiment de planer et d'être de plus en plus légère. Le seul fait d'écrire ceci me demande déjà un effort, mais c'est une consolation, une sorte de conversation, d'occasion de déverser tout ce que j'ai sur le coeur. La veuve m'a parlé de ses cauchemars avec les Russes, elle n'arrête pas d'en faire. Chez moi rien de semblable, sans doute parce que j'ai tout craché sur le papier.
L'écriture comme thérapie, comme vecteur de résilience?
Ce livre a été publié de manière anonyme, en 1954, et à l'époque très mal accepté par les Allemands, qui n'étaient pas encore prêts à se confronter à la réalité de cette période cauchemardesque - en particulier les hommes, sans doute, comme en témoignent les dernières pages de l'ouvrage.
Ce journal de la chute de Berlin a été tenu par une trentenaire qui travaillait dans une maison d'édition. Il y est question des bombes, des caves, de la vie sans nourriture, sans eau et sans électricité... puis de l'arrivée des Russes à Berlin et de ce qui s'ensuivit. La femme qui tient la plume est instruite, elle parle français et connaît un peu la langue de l'envahisseur, qu'elle utilise pour tenter de survivre. Elle se raccroche à son besoin d'écrire et tient la chronique de la petite communauté que forment les habitants de l'immeuble et du quartier, réunis dans la cave à chaque grondement de tonnerre, dans les queues des distributions de rations de vivres ou dans celles qui se forment aux points d'eau.
On ignore si le livre se contente de restituer les trois cahiers de la Berlinoise (à présent identifiée: son nom est Marta Hillers) ou s'il a donné lieu à rewriting au moment de la première édition, américaine. Quoi qu'il en soit, les faits qu'il relate ne font plus guère de doutes et le témoignage n'en est pas moins poignant.
Journal
20 avril - 22 juin 1945
Editions Gallimard, folio, 2006
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